Avec mes ongles cassés et pleins de terre et les bleus que tes gardes m'ont faits aux bras, avec ma peur qui me tord le ventre, moi je suis reine.

Ruby a toujours joué la comédie, toute sa vie, sans même s’en rendre compte. Éduquée comme une parfaite soldat Spered, elle a toujours suivi les exigences de ses parents sans broncher, toujours accepté les critiques sans répliquer, toujours serré les dents face à cette hypocrisie évidente, mais loin d’être assumée, de tous les membres de son clan. Et elle est douée pour ça. Très tôt, et sans surprise, Ruby s’intègre parfaitement dans le moule de ces fantaisies, et même si aucune fierté ne découle des iris de ses parents, elle le sait : elle est exactement ce qu’ils attendent d’elle. Comme sa soeur avant elle. Comme tous ses camarades autour d’elle. Comme tous ceux qu’au fond, elle ne parviendra jamais à comprendre.

Opal et Ruby. Ruby et Opal. Sans être deux diamants, elles brillent chacune d’une lueur bien plus complémentaire qu’elles ne le pensent. Le Soleil et la Lune. Si Opal est plus scolaire, carriériste, faisant parler d’elle et des Crowley à travers son pari réussi au sein du Parlement, Ruby a des facilités sociales qui forment les lacunes de son aînée ; une réputation irréprochable qui s’entoure d’une certaine envie, d’un certain mystère autour de son charisme caractériel. Jamais trop, ni pas assez ; juste ce qu’il faut pour briller en société.

Illusionniste, marionnettiste des distorsions de la réalité, Ruby a hérité du don de créer des mirages, des hallucinations. En réalité, elle ne se sert que très rarement de son don, et généralement avec des amis, pour feinter certaines sensations de plaisir et d’ivresse, de découvertes de son corps et de son esprit, de ses sens. Elle adore son don, qui lui a déjà été d’une grande utilité pour se sortir de situations embarrassantes.

Bien qu’exigeante et bien plus influencée par l’éducation prodiguée par ses parents qu’elle ne le pense, Ruby rêve d’une plus grande tolérance. D’une organisation différente. D’un mode de vie plus simple, sans étiquette, sans pression sociale, sans guerre de clan, sans mariage forcé. Juste la magie, car c’est après tout ce qui les unit. On pourrait la croire utopiste ; plutôt rêveuse. Car même elle ne croit pas à un tel paradis. Alors elle se contente d’accepter la réalité, d’être la Crowley qu’elle se doit d’être (au final, ce n’est pas si terrible que ça) et voit le verre à moitié vide, plutôt qu’à moitié plein.

Elle a d’abord choisi des études littéraires par intérêt, puis par pur esprit de contradiction afin de s’éloigner du chemin tout tracé de son aîné, et de la fierté prétentieuse qui s’affiche sur le visage de celle-ci lorsqu’on lui en fait l’éloge. Au final, son travail d’éditrice lui convient très bien, même si ses parents restent persuadés qu’elle aurait pu faire mieux - au moins, le salaire suit, et c’est certainement la raison pour laquelle ils ne bronchent pas.

Lorsque ses parents lui ont avoué qu’ils avaient rejoint les rebelles, elle a tout d’abord eu peur. Pour eux, pour leur vie, pour celle de ses frères et soeurs. Elle leur a promis de garder leur secret, et au delà de ça, elle a écouté leurs arguments. Un nouveau monde, une nouvelle organisation magique. Loin de se douter de toute la noirceur du groupuscule et de leur sorcellerie, elle s’est laissée berner, bercée d’illusions et d’espoirs quant à ces rêves qu’elle a toujours nourri, toujours refoulé. Et si c’était possible, finalement ? En finir des clans, des querelles, des rivalités. Ils pourraient briller des couleurs des cinq pierres, tous. Et Ruby, pourtant si clairvoyante, s’est laissée endormir par leurs paroles, les convictions réveillées. Mais la réalité l’a rapidement ramenée sur Terre. L’arrivée des sorciers de 2020 l’a complètement chamboulée, en apprenant la suite des évènements. L’attaque des rebelles, la perte de la magie. Elle a également appris que les rebelles sont à l’origine de plusieurs vols et massacres au sein des clans. Sa soeur a dénoncé ses parents, désormais bannis des Spered. Et si après toutes ces annonces, elle aurait dû sentir qu’elle n’avait pas choisi le bon côté, en réalité, elle ne se sent plus à sa place nul part. Pas avec les rebelles. Pas avec les Spered. Encore moins avec sa soeur ou ses parents. Seule et trahie. On ne se doute pas qu’elle a été complice de la trahison du couple Crowley ; en réalité, le confort dont lui accorde sa soeur ne lui importe guère, désormais, face à la désillusion qu’elle subit. Les clans ne seront jamais unis, et elle n’arrive pas à accepter l’échec de cette idée. Son échec. Celle qui a toujours été habituée à la réussite. En l’espace d’un instant, elle a compris pourquoi ses parents l’ont éduquée ainsi, pourquoi les Spered ne visent que l’excellence et formatent leurs jeunes dans cette optique : il faut façonner, polir l’objectif. L’espoir rend faible. Les dérives sont dangereuses. Et elle est l’exemple parfait de la faille du système. Sans savoir à qui va réellement son allégeance, elle n’a jamais été aussi sûre d’une chose : elle n’a confiance qu’en sa magie.