-- sick of being so lonely (thaniel)

Avait-il perdu la tête ? Inviter un homme qu’il ne connaissait pas - pas vraiment - chez lui, alors qu’il n’invitait pratiquement jamais personne chez lui. Sa mère avait foutu les pieds dans son appartement, parce que de toute manière retenir Anastasia Holmes de faire ce qu’elle voulait était impossible. Puis il y avait deux ou trois autres femmes, dont Jean, qui s’était aventurées jusqu’ici. Et c’était tout. Elles étaient les seules, et plus personne d’autre. Il ne vivait pas là depuis longtemps, il faut dire. L’appartement était petit, vraiment petit, et le londonien n’avait pas l’habitude de vivre dans si petit. Ses livres s’entassaient sur le sol, à défaut d’avoir une bibliothèque pour les y ranger. La sacoche qu’il attrapait tous les matins pour aller travailler était sur une de ces piles de bouquins, lesquels avaient été en partie recouverts de plantes diverses et variées, des plantes qui l’avait attiré dans divers marchés. Sans le savoir, certaines d’entre elles entraient dans la composition de potion de son clan, mais Daniel l’ignorait car le Golden Order n’avait pas cette information.

Que lui était-il passé par la tête ? Désormais, il devait tout ranger, nettoyer au mieux qu’il pouvait. Il n’avait pas vraiment l’habitude de faire ça, sa mère avait embaucher une aide ménagère pour chez eux, et puis… Et puis on lui avait appris que ce ne serait jamais à lui de faire ça. Pourtant, en vivant seul, il n’avait d’autre choix. Son job le payait trop peu pour qu’il puisse se permettre d’imiter sa mère. Juste avant l’heure de leur rendez-vous, Daniel ferma la porte de sa chambre, dans laquelle il avait entreposé les bouquins aux titres les plus évocateurs quand à sa connaissance de la magie, et quelques vêtements sales qu’il n’avait pas encore nettoyé et qui par une raison qui lui échappait à lui-même trainaient dans le salon.

Il avait à peine eu le temps de passer une main dans ses cheveux pour les ramener un peu en arrière que la sonnette retentit dans l’appartement. Un sursaut le secoue, et c’est après avoir passé sa langue contre sa lèvre inférieure qu’il décroche l’interphone. « C’est au 4e. », fit-il simplement, en appuyant sur le bouton. Au 4e sans ascenseur, mais Theodore s’en rendrait compte assez vite. L’homme ouvre la porte, et attend, chaque bruit de pas contre les escaliers en bois faisant battre son coeur un peu plus vite.

Lorsque Theodore arrive devant l'immeuble après avoir demandé son chemin à plusieurs passants - sérieusement, comment font les gens à cette époque pour se rendre à un endroit précis sans gps - il ne se laisse pas le temps d'hésiter avant d'appuyer sur la sonnette. Il ne comprend pas ce qu'il fait ici, prêt à passer un moment en compagnie d'un membre du Golden Order auquel il ne cesse de mentir depuis qu'il l'a rencontré. Les Tima lui conseilleraient probablement de partir, de ne pas se mêler à l'Ordre, de prendre ses distances car c'est ce qu'il y a de plus intelligent, de plus prudent à faire. Mais c'est plus fort que lui. Si Theo se cache derrière des excuses, derrière la volonté d'en savoir plus sur l'organisation, et de jauger leurs connaissances tout en contrôlant les informations auxquelles le jeune homme pourrait avoir accès, il a conscience en vérité que ça va plus loin que ça. Il l'a remarqué quand il s'est surpris à sourire à une remarque du brun, ou quand il a commencé à chercher des excuses pour pouvoir le voir davantage. Ô tout ça ne lui dit rien qui vaille, mais qu'importe, les risques sont parfois bons à prendre. Il ne réalise pas vraiment qu'à cette époque, rien de tout ça n'est banal, pas comme ça peut l'être dans le Londres de 2020. Il ne réalise pas qu'il y a quelques années encore, il aurait pu être jugé pour le simple crime d'avoir embrassé cet homme. Tout ça le dépasse, lui qui a toujours été habitué à une certaine forme de tolérance.

La voix qui grésille dans l'interphone le sort de ses pensées. Il pousse la porte du bâtiment avant d'entamer la montée des escaliers jusqu'au 4ème étage. Ses pas résonnent dans la cage d'escaliers, mais Theo ne se presse pas. Lorsqu'il arrive à l'étage voulu, un léger sourire apparaît sur son visage lorsqu'il reconnaît la silhouette de Daniel dans l'entrebâillement de la porte. « Vous ne connaissez pas non plus les ascenseurs en 1975? » Il sait que si, mais c'est simplement pour le taquiner un peu. Daniel s'écarte pour le laisser entrer dans son appartement, et Theodore laisse son regard courir sur les murs blancs de la pièce à vivre, sur les quelques éléments de décoration. L'appartement semble plus grand que le sien, celui dans lequel il vivait en 2020. « Comment vas-tu depuis la dernière fois? » La dernière fois qu'ils s'étaient vus remontait à la semaine dernière, en compagnie de l'ex petite-amie de Theo, et de son ami qui semblait également connaître Daniel dans le futur. Le Tima n'avait pas questionné cette connexion, même s'il savait aujourd'hui que son ami, tout comme l'homme qu'il avait devant lui, faisaient tout deux partie du Golden Order.

Impossible d’ignorer la chamade de son coeur, alors qu’il aperçoit le visage de celui qu’il a invité ici. Impossible, aussi d’ignorer le sourire qui vient naturellement se dessiner sur son visage, sans même qu’il ne puisse le contrôler. Le ciel pouvait bien être gris, l’automne pouvait bien s’installer, mais le soleil reviendrait toujours dès que le regard du jeune Holmes se poserait sur lui. Il se décale pour le laisser passer, et secoue la tête en levant yeux au ciel à la première taquinerie de son invité. « Soit indulgent, c’est encore une technologie trop nouvelle pour nous », absolument pas, à vrai dire Daniel n’avait aucune idée de la date d’invention de l’ascenseur. Le jeune homme ferme la porte derrière Theodore, avant de le dépasser pour s’avancer dans la pièce. Il évite de le toucher, mais leurs bras se frôlent et Daniel fait de son mieux pour ne pas se concentrer sur ce geste. Si pour Theodore ce n’est rien, lui est issu d’un monde où les hommes ne doivent pas se toucher, où de nombreux gestes sont interprétés comme ambigu. Et depuis peu, plus de gestes encore le sont pour lui, car Daniel se persuade encore qu’il est normal, son propre esprit lui infligeant des remarques d’une violence que l’on ne peut imaginer si on ne l’a pas vécu.

« Ca va. Je n’ai pas pu beaucoup me pencher sur votre… Problème. », avoir atterri en 1975, donc. En réalité c’était un mensonge. Daniel avait particulièrement relu ses ouvrages sur le clan Tima, seul responsable de ce retour dans le temps. Cependant, il n’avait pas assez passer de temps sur le dossier, car il passait aussi énormément de temps sur un autre sujet : sa mère.  

Il désigne le canapé. « Installe toi. », avant de lui retourner la question « Et toi, ça va ? », est-ce que je peux t’aider ? Voulait-il demander. A lui, en particulier, pas aux autres, pas même à celui qui se disait son apprenti dans 45 ans. Il voulait aider le Bennett et personne d’autres. C’était aussi pour ça qu’il l’avait invité ici, pour ne pas le partager avec le reste du monde le temps d’une entrevue. Pour ne pas avoir d’autres regards sur lui… Et sur eux, par excès de prudence.

« Tu veux un thé ? », il fallait qu’il s’occupe les mains et l’esprit, juste le temps de s’habituer à la présence d’un autre chez lui.

Un problème qui n'en est pas vraiment un, en vérité. Ou du moins, rien qui échappe à Theodore. Mais ça, le jeune homme se garde bien de l'avouer à son interlocuteur. Il sait que les seuls à même de trouver une solution sont les siens, et que toutes les recherches de Daniel ne le mèneront que sur la piste de théories qu'il ne pourra jamais affirmer. Seuls les Tima sont capables de défaire ce qui a été fait, et pour l'instant il sait que ça n'est pas une priorité pour les sorciers jaunes.

Mais Theo préfère donner le change, faire comme si tout ça le dépassait entièrement. Même si c'est difficile parfois de se rappeler qu'il est censé être paniqué, perdu, et en pleine incompréhension face à la situation qui est la sienne. Le Tima s'installe sur le canapé que Daniel lui désigne et hoche doucement la tête pour répondre à sa question. « Ca va, oui. » Ses prunelles sombres viennent se poser sur le visage de l'homme qui lui fait face. « J'aimerais comprendre, ça me rend fou de ne pas savoir ce qui se passe. » Les mensonges glissent de ses lèvres avec facilité, probablement plus que s'il s'agissait de mots sincères, de vérités confiées à demi mots. Il ne sait pas pourquoi il fait ça, pourquoi il persiste à jouer ce jeu dangereux. Peut-être est-ce simplement le désir de se réinventer, de s'éloigner de la personne qu'il était en 2020, de l'humain qui aurait dû être sorcier, de celui qui ne trouvait sa place dans aucun des deux mondes. C'est peut-être ça, oui. Peut-être aurait-il préféré naître humain, ne jamais rien connaître de ce monde dissimulé derrière des mensonges élaborés. « Et cette époque, elle est tellement différente de la mienne. C'est perturbant. » Sur ça, Theodore n'a pas besoin de mentir. Il oublie souvent que Londres de 1975 n'est pas Londres de 2020. Que la société n'est pas la même, que les mentalités ne sont pas aussi ouvertes. Il oublie qu'ici, plus qu'en 2020, sa couleur de peau dérange, tout comme sa sexualité. Il l'a remarqué, un peu, dans le comportement des gens, dans la diversité qu'il observe dans les rues de la ville. C'est étrange de voir Londres la cosmopolite ainsi. C'est étrange de se rappeler que les droits avec lesquels il est né n'ont pas toujours été acquis.

Lorsque Daniel lui propose un thé, Theo hoche à nouveau la tête. « Avec plaisir. » A nouveau, son regard vient se poser sur le jeune homme, qui finit par lui tourner le dos pour s'afférer à la préparation du thé. Les prunelles du Tima détaillent la silhouette du brun, le corps qui se dessine sous ses vêtements. Il ne sait expliquer pourquoi le Holmes l'intrigue et l'attire de la sorte. Pourquoi lui, plutôt qu'un autre. Bien sûr, Daniel est un bel homme, il sait s'habiller, et son sourire a quelque chose de désarmant, mais Theo ne connaît presque rien de lui. Tout ce qu'il sait, c'est ce que Daniel ne lui a jamais dit, les secrets qu'il pense garder précieusement. Le Golden Order, sa mère, dirigeante de l'institution, tout ce qui fait de lui ce qu'il est, et pourtant, Theodore a l'impression qu'il y a quelque chose d'autre derrière cette façade de garçon de bonne famille. Peut-être est-ce pour ça qu'il a envie d'en apprendre plus, de découvrir qui est véritablement Daniel. Et puis, il faut dire que ce sourire ne fait rien pour arranger les choses.

Daniel a un sourire presque mélancolique quand son interlocuteur lui confie sa frustration, et quelque part, ses craintes. Il ne peut pas comprendre ce que le brun traverse, ce qu’il vit en étant coincé ici. A quel point ça doit être difficile à vivre, pour lui. Alors il ne dit rien, et hoche la tête avant d’aller préparer le thé. La porte reste ouverte, entre la minuscule cuisine et le salon. La bouilloire est sur le feu, et pendant ce temps Daniel s’affaire à sortir les tasses, à préparer la boule à thé pour la théière, à sortir le lait et le sucre. Il faut bien deux ou trois minutes pour que le thé soit prêt, et qu’il retourne auprès de son invité.

La vision a quelque chose d’un peu moins étrange, désormais. Comme si le fait que Theodore soit installé dans son canapé n’était pas si absurde que ça. Et pourtant l’homme vient de lui parler d’une époque qu’il ne se voyait pas connaître, un monde si lointain qu’il y pensait comme le futur. Daniel pose les tasses sur la petite table exigüe, sur laquelle trône un livre qu’il doit pousser pour avoir assez de place. Il verse alors le thé dans les deux tasses, et s’installe sur le canapé, seul endroit dans la pièce où il est possible de s’installer si ce n’est les chaises du canapé.

Il prend alors sa tasse, laissant son invité le soin de prendre la sienne. Le thé lui réchauffe les mains, qu’il a souvent froide en cette période automnale. « Comment tu vivais, en 2020 ? », il veut en savoir plus sur lui, il préfère alors balayer les autres question d’un revers de la main. Ils y reviendront plus tard, peut être. Quand sa curiosité sera satisfaite.

Daniel le rejoint sur le canapé avec les deux tasses de thé. Theo le quitte du regard afin de pouvoir s'emparer de sa tasse. Puis il se tourne légèrement pour faire face au jeune homme, un coude posé sur le dossier du canapé, et la tasse dans l'autre main. La question du brun ne le surprend pas, mais le Bennett ne sait pas vraiment par où commencer. Quels détails doit-il garder secrets, quelles informations peut-il se permettre de partager avec Daniel? « J'étais libraire à Daunt Books. Tu connais sûrement. » La librairie est vieille et réputée au sein de la ville. Theodore est passée devant quelques fois en 1975, mais n'a jamais osé rentrer. Tout ça lui semble trop bizarre, d'être entre ces murs sans y appartenir. Theo porte la tasse à ses lèvres avant de poursuivre. « J'habitais à Camden, dans un studio minuscule. » Il sourit légèrement en pensant à son appartement. Rien d'incroyable, mais il avait fait le choix de préférer la localisation à l'espace. Et cela lui évitait de supporter davantage sa famille. « Jusqu'à présent, rien d'incroyable par rapport à 1975. » A croire que leurs deux époques n'étaient pas tellement différentes, au final. Mais Theodore sait que c'est faux. « J'avais quelques amis, que j'ai connu à l'université, pour la plupart. » Il se tait un instant en pensant à ces personnes qu'il a laissé derrière lui. Pas qu'il ait vraiment eu le choix, mais Theo sait qu'il n'aurait pas hésité si son clan lui avait proposé de participer au sortilège. Il sait qu'il aurait fait ce voyage sans se soucier de ne plus jamais revoir ses amis. « Je sortais pas mal. Je rencontrais des gens. » Il hésite un instant, et cache cette incertitude en prenant une nouvelle gorgée de thé qui lui brûle la gorge. « Des femmes, et des hommes. Je crois que c'était plus simple en 2020 de faire des rencontres. Tout le monde est beaucoup plus ouvert, puis il y a internet, les réseaux sociaux. C'est plus simple pour apprendre à connaître quelqu'un. » Theodore hausse les épaules, comme si ce qu'il venait de dire n'avait que peu d'importance. Mais derrière cet acte nonchalant, le Tima observe la réaction de Daniel face à ses mots. Va-t-il comprendre ce qu'il sous-entend?

Daniel s’efforce de ne pas laisser ses yeux vagabonder sur le visage de l’homme en face de lui, mais c’est un peu trop complexe alors il regarde le fond de sa tasse pendant qu’il remue son thé pour le faire refroidir. Theodore lui raconte alors sa vie en 2020, et quand il parle de la librairie, Daniel hoche la tête. Oui, il connait. Il n’est pas vraiment étonné de savoir que cette vieille institution est toujours debout, 45 ans plus tard. C’est presque comme si leurs vies étaient les mêmes, pourtant Daniel sait que ce n’est pas le cas. Il remonte le regard sur le Bennett, qui lui parle de ses amis de l’université. Un homme comme lui à l’université, à son époque, cela semble déjà plus étrange que ça l’est dans la bouche de ce garçon qui ne lui ressemble pas totalement. La couleur de sa peau est un frein à son époque, et quand il entend Theodore en parler, il a le sentiment qu’en 2020 ce n’est plus le cas. Si le Holmes n’a jamais été très sensibilisé aux questions raciales, il se prend à penser que 2020 est peut être une époque plus douce à vivre. Moins de grèves, moins de violence… Si il savait.

Et puis l’homme du futur le perd complètement. Il lui parle de rencontres, d’hommes et de femmes, et le regard qu’il lui lance fait chavirer quelque chose au fond de lui. Il évite de déglutir - difficilement - et préfère encore prendre une gorgée de thé. Ca lui permet de cacher une partie de son visage derrière sa propre tasse, et les deux mains qui la tiennent. Il fini par descendre la tasse à la hauteur de ses genoux, quand il entend l’autre lui parler de choses qu’il ne connait pas. « Plus ouvert ? », fait-il innocemment, car il n’est pas sûr d’avoir compris ce que le Bennett voulait lui dire, et puis il ajoute : « Les réseaux sociaux ? C’est quoi ? », son lui de 2020 était tout aussi décontenancé que son lui actuel face à ces technologies. Si le Daniel de 2020 avait un téléphone, celui-ci était un vieux smartphone qu’il n’utilisait que pour appeler, sur lequel il avait toujours un mal fou à taper un texto et qui avait longtemps été un mystère complet pour lui.

Le Bennett a l'impression que son interlocuteur mord à l'hameçon lorsque ce dernier rebondit sur ce qu'il a pu lui dire. Une question qui semble innocente, mais qui lui prouve que Daniel est intéressé par ce qu'il lui dit. Theodore ne peut s'empêcher de sourire un peu plus lorsqu'il le questionne à propos des réseaux sociaux. Dans quoi s'était-il engagé en abordant ce sujet là.

« Oui, plus tolérants. On se sent plus libres d'être qui on veut, d'aimer qui on veut. » L'intonation de sa voix est peut-être plus insistante sur ces derniers mots. Son regard ne quitte pas celui de Daniel lorsqu'il les prononce. Il veut qu'il comprenne où il souhaite en venir. « Mon époque n'est pas parfaite. Il y a encore beaucoup d'injustices, mais je crois qu'on a tout de même fait des progrès. Certaines personnes plus que d'autres, mais j'imagine que c'est pareil en 1975. » Il hausse doucement les épaules. Il y a toujours eu les personnes tolérantes, ouvertes aux changements, et celles qui se confortent dans leurs idées conservatrices et arriérées. Theodore n'a jamais compris ces derniers, dont le seul passe-temps semble parfois être de vouloir interférer avec les libertés fondamentales et les droits de chacun. « Les luttes que vous menez aujourd'hui, elles nous ont permis à nous de vivre différemment. » Et la simple idée de pouvoir lui aussi participer à ce changement à quelque chose de satisfaisant, de grisant. Theo n'a jamais été un militant, habitué à sa vie confortable, à ses droits avec lesquels il était né. Et désormais, il commence seulement à ouvrir les yeux sur la réalité de cette époque. Quelques décennies seulement la sépare de la sienne, et pourtant, il commence à réaliser qu'ici, en 1975, rien n'est acquis. Que sa couleur de peau et sa sexualité sont des raisons suffisantes pour le discriminer et que personne ou presque ne dira rien contre ça, car c'est la norme.

Il reprend une gorgée de thé qui a un peu refroidi et ne lui brûle plus la langue comme avant. « Et pour les réseaux sociaux, disons que c'est comme un lieu d'échange ou de rencontre, mais tout se passe grâce à internet. On discute à distance grâce à nos ordinateurs ou nos téléphones. On peut mettre des photos de nous, des vidéos, et réagir à celles des autres. Tout est dématérialisé. » Theo glisse sa main dans la poche de son jean pour en sortir son portable. Si ce dernier n'a plus de batterie, il ne peut s'empêcher de l'emmener encore avec lui, comme une vieille habitude dont il n'arrive pas à se défaire. « C'est mon portable. Si tu savais le nombre de choses que l'on peut faire avec ça. Mais il n'a plus de batterie, alors il ne sert plus à grand chose maintenant. » Il le tend à Daniel pour que ce dernier puisse l'observer. Il sait que tout ça doit paraître étrange pour le Holmes, plus que pour Theo d'ailleurs.

Le doute n’est plus permis, désormais. Le Bennett le cherche, et le malaise grandi en Daniel, qui a l’impression de sentir son corps le démanger partout sous son épiderme, comme des petites bestioles qui s’y faufilent, ou plutôt comme la frustration qui monte en lui. Il aimerait pour répliquer, lui aussi il aimerait pouvoir jouer à ce petit jeu mais il n’en est pas capable, quelque chose l’empêche d’assumer tout haut ce qu’il comprend tout bas sur lui-même. Pourtant, un instant, il maintient le regard de l’autre, et se fait violence pour ne pas baisser les yeux. Il sent cependant le rouge lui monter au visage, colorer sa nuque, et légèrement ses joues, alors il préfère détourner le regard finalement. Il aimerait poser tellement de questions, mais il n’ose pas parce que tout se bouscule dans ta tête.

Heureusement le sujet évolue, et Theodore lui explique ce que sont les réseaux sociaux. L’homme doit se concentrer pour comprendre ce dont l’autre parle, mais rien n’y fait : il ne comprend rien. Il bouge un peu sur le canapé, glisse une jambe sous son corps et pose son thé derrière lui, sur une pile de livre branlante - il prend un risque mais il le fait souvent - quand bien même il n’en a bu qu’une gorgée. Theodore lui tend le téléphone, et il le prend, après avoir hésité une seconde. Ses instincts de membres du Golden Order sont réveillés, alors qu’il tourne l’appareil entre ses doigts, devant ses yeux.

« Attend, ça c’est quoi, du coup ? », il l’observe et secoue la tête. Un portable ? « C’est avec ça que tu met des photos sur… » Internet, mais il a déjà oublié le nom. « Donc, au lieu d’aller dans un bar, tu rencontres des gens avec ça ? », il secoue la tête. « On dirait un roman de George Orwell. » souffle Daniel, alors qu’il retourne encore le portable entre ses mains. « Qui t’attends, en 2020… ? », il ne sait pas pourquoi il pose la question. Peut être parce qu’ils ont parlé de sa vie, de ses technologies, parce que Daniel sait qu’il ne doit pas s’attacher parce qu’un jour Theodore partira dans un autre temps, et que lui ne le reverra que quand il sera trop vieux pour en profiter.

Un instant, Daniel soutient son regard. Ses joues se colorent légèrement de rouge, et Theo ne peut s'empêcher de sourire davantage. Finalement, le brun se détourne, et le Tima ne peut s'empêcher de penser que cette attirance qu'il peut ressentir n'est peut-être uniquement à sens unique.

Daniel s'empare de son téléphone, et le Bennett observe le portable que son interlocuteur tourne et retourne entre ses mains. « C'est un téléphone. Mais portable, qu'on peut emmener partout avec nous. » Il sourit face à l'expression qui s'affiche sur le visage du jeune homme. L'incompréhension face à cette technologie inconnue. « En vérité, on peut faire bien plus de choses avec ça qu'uniquement appeler. Mais je ne vais pas rentrer dans les détails aujourd'hui ou je risque définitivement de te perdre. » Il reprend une gorgée de thé. « Je sors quand même dans des bars mais oui, je rencontre aussi des personnes grâce à ça. »

Le silence tombe après les mots de Daniel. Le sourire se meurt sur les lèvres de Theodore, alors que son regard se perd un instant dans sa tasse de thé presque vide. Il pense à toutes ces personnes qu'il a connu en 2020. Il pense à ses parents, à son clan, à ses amis, et aux autres. Qu'a-t-il laissé derrière lui? Manquera-t-il seulement à quelqu'un? Peut-être à ses amis, pendant un temps, mais ils finiront par s'en remettre. Le temps finira par effacer les souvenirs liés à son absence. « Personne. » Peut-être que la réponse va surprendre le jeune homme, mais Theo n'a pas le cœur à lui mentir. Pas sur ce sujet.

Le Bennett ne lui laisse cependant pas le temps de rebondir sur ses paroles et de lui poser davantage de question. Le sourire qui réapparaît sur son visage vient chasser les fantômes qui dansaient dans ses prunelles il y a encore quelques secondes. « Mais assez parlé de moi. » Il fait un signe de la main vers le jeune homme. « Je ne sais quasiment rien sur toi, si ce n'est que tu es journaliste. » Un léger rire lui échappe. « Andrew n'a rien voulu me dire quand je l'ai questionné sur l'homme mystérieux et séduisant qui est censé nous venir en aide. »

Les informations s’entremêlent dans le cerveau du Holmes, qui observe encore quelques instants la brique métallique entre ses doigts. Il aimerait l’ouvrir, et découvrir ce qu’il y a dedans mais ça ne servirait à rien car il n’y connait pas grand chose en électronique. Alors il le lui rend, perplexe, cependant. « Ton époque est déconcertante. », souffle Daniel, alors qu’il repose son regard sur le Bennett. Il aurait aimé que ça soit inversé, que lui soit en 2020, pour découvrir une autre réalité. Fasciné par tout ce qui extraordinaire, il aurait pu vivre une vie allant bien au delà de celle qui était toute tracée pour lui. Peut être que si il pouvait y retourner avec lui…

Il lui faut une petite seconde pour revenir à la conversation, juste au moment ou Theodore lui répond. Personne. Daniel tente de ne pas réagir, mais le bout de sa langue vient humidifier sa lèvres, un geste un peu nerveux, parce qu’il a le sentiment d’avoir mis les deux pieds dans le plat. L’homme allait répliquer, mais déjà le Bennett change de sujet et préfère parler de lui. Daniel respecte sa vie privée, et préfère ne pas insister. Lorsque Theodore le qualifie de mystérieux et séduisant, c’est un rire légèrement nerveux qui sort de la bouche du Holmes, qui ne peux décidément plus supporter ce que le brun lui fait vivre. « Arrête. », il est sérieux, et son ton est un peu plus sévère qu’il ne l’aurait voulu. D’ailleurs, son regard n’a rien de trompeur, mais il balaie rapidement cet instant gênant avec un léger mouvement de ses lèvres, juste aux commissures. Un très faible et bref sourire se dessine sur le visage du Holmes, et hausse ensuite les épaules. « Il n’a pas voulu m’en dire plus non plus sur… », ça lui semble tellement étrange. « Sur qui je suis en 2020. » Une petite grimace déforme ses traits, il a du mal à s’imaginer vivre en 2020. A s’imaginer vivre si vieux, d’ailleurs.

« Il n’y a pas grand chose d’intéressant à dire sur moi. », commence Daniel. « Mon téléphone a un fil et ne peux que téléphoner. », ajoute-t-il avec un petit sourire espiègle. « Je vis ici depuis seulement quelques mois, je vivais plus proche du centre avant, avec ma mère. », qui n’est pas vraiment sa mère. « Ma vie n’est pas très intéressante, mais toi… Vous, vous la rendez plus intéressante. », surtout toi.

Theo sait qu'il a été un peu trop loin avec ses mots lorsque Daniel lui répond sur un ton bien différent de celui qu'il a employé jusqu'alors. L'expression de son visage est catégorique, elle aussi, mais le Tima ne s'en formalise pas. Si le Holmes est gêné de toutes ces attentions, Theodore est persuadé qu'il y a plus à creuser derrière. Tout ça doit bien signifier quelque chose. Mais pour l'instant, le jeune homme choisit de ne pas insister, de laisser tranquille le pauvre cœur de Daniel.

Après quelques secondes, Theo finit par poser sa tasse de thé vide sur la petite table basse. Il hoche doucement la tête en écoutant les paroles de son ami. « J'imagine qu'il n'a pas voulu influencer les futurs choix que tu pourrais faire. » Ce pouvoir, il ne le connaît que trop bien. Pour avoir grandi entouré de personnes capables de voir l'avenir et le passé, il sait à quel point tout ça peut être dangereux. Voilà pourquoi les Tima se sont toujours montrés prudents concernant les informations qu'ils partagent. Il imagine que c'est pour ça qu'Andrew n'a rien souhaité dire à Daniel.

Un léger rire échappe des lèvres du brun. Il a bien eu le temps de voir qu'ici, les technologies se réduisent au strict minimum. Lorsque Daniel évoque sa mère, Theo ne peut s'empêcher de penser à la femme qu'il a vu dans ses livres d'histoire. La dirigeante du Golden Order de 1976, celle qui a assisté à la destruction de la magie, impuissante. Il a beau chercher, encore et encore dans sa mémoire, il ne parvient pas vraiment à voir de ressemblance entre l'homme qui lui fait face, et cette femme. Mais le Bennett ne réagit pas, reste silencieux, reconnaissant que Daniel ait déménagé dans son propre appartement il y a peu. Le sourire s'accentue sur son visage face aux derniers mots du jeune homme. Theo ne peut être que d'accord, toute cette histoire de retour dans le temps et les rencontres qu'il a pu faire grâce à elle ont donné une saveur différente à sa vie. « Ravi que ma présence en 1975 puisse avoir une quelconque utilité. »

Puis, finalement, le jeune homme se redresse, interrompant quelque peu ce moment de confidences pour aller chercher un livre qu'il a emprunté à la bibliothèque un peu plus tôt. « Bon, passons aux choses sérieuses maintenant. J'ai emprunté ce livre de physique quantique qui traite des voyages dans le temps. Je n'ai pas compris grand chose alors je compte sur toi pour m'aider. » Puis il vient rejoindre Daniel, un sourire aux lèvres. One step at a time.